Ecrire sans rien écrire ?


En quoi, précisément, consiste l’acte d’écrire ? S’agit-il d’attraper le stylo par la queue ? Ou, de manière plus contemporaine, de caresser subtilement le clavier ? S’agit-il d’écrire, tout simplement, ou de s’apprêter à le faire ? S’agit-il, même, de s’y préparer, ou bien d’enclencher le dispositif permettant, soudain, d’être suffisamment réceptif pour ouvrir à de nouvelles interprétations du monde ? Et voilà que je lis ceci, excellent, de Johan Faeber ( « Après la littérature » in « Face à Sebald » ; Ed. Inculte) :
En effet, alors qu'il s'adonne à une randonnée pédestre dans l'Est de l'Angleterre, le narrateur est soudainement immobilisé au point d'être hospitalisé. Il ne peut ainsi plus du tout se mouvoir. Cette fulgurante infirmité se traduit immédiatement par un constat encore plus violent: il ne peut pas tenir un stylo non plus que taper sur un clavier pour faire part de son récit, ce que Sebald formule d'une manière singulière qui, plus largement, renseigne sur sa vision de l'écriture: « Il fallut me transporter à l'hôpital de la capitale régionale, Norwich, où j'entrepris, du moins en pensée, de rédiger les pages qui suivent.» Curieuse remarque liminaire du récit qui indique qu'en fait on écrit en pensée, c'est à dire qu'on rédige sans rédiger, qu'on écrit sans rien écrire à proprement parler, comme si le livre allait s'écrire en pensée, à savoir sans véritablement s'écrire. Se donne alors incidemment la définition de l'écriture selon Sebald, une écriture qui ne s'écrit pas mais qui écrit quand même: une écriture moins l’écriture. Et depuis son caractère intangible, atopique et fantastique, cette écriture moins l'écriture fonde l'ensemble des narrations de Sebald, qui sont des récits de pensée, où l'on a une pensée pour feue la Littérature, des récits d'une écriture télépathique (on entre en contact avec des morts) où il en va aussi de la pensée, ni essais ni romans mais poèmes au sens romantique et où se dessinent trois figures de cette littérature moins la littérature, trois figures de cette écriture moins l'écriture d'où surgit la possibilité de continuer à écrire quand il n'y a plus d'écriture possible, d'où surgissent ces ultimes salut et sursis comme pour revenir de la très grande mort de la Littérature d'où chacun parle depuis 1945. La première figure de cette écriture moins l'écriture qui traverse l'œuvre de Sebald est celle du narrateur qui n'écrit pas. Il est toujours le grand témoin de chacun des écrits car en effet, loin d'écrire, il écoute: il n'a pas d'histoire.