Il ne suffit pas toujours de le dire pour le faire… ni de l’avoir dit, pour
l’avoir fait... William T. Vollmann semble, lui, être effectivement allé à Fukushima, dans la zone interdite. Il en est revenu avec un texte étrange,
mélancolique et presque résigné, récemment publié aux éditions « Tristram »
(« Fukushima. Dans la zone interdite ») et dont je retire, tout de
même, ceci :
S'agissant du séisme-tsunami et du désastre concomitant du réacteur, il pourrait être pertinent de citer les paroles du Bouddha : Rien en ce monde n'est permanent ou durable ; tout est changeant et momentané et imprévisible. Mais les hommes sont ignorants et égoïstes, et ne se préoccupent que des désirs et des souffrances du moment présent. Ils n'écoutent pas les bons enseignements, pas plus qu'ils n'essaient de les comprendre ; et ils s'abandonnent simplement à l'intérêt présent, à la richesse et au plaisir » - par exemple, aux crédits d'impôts accordés à ceux qui vivent près d'une centrale nucléaire, sans même parler de ce que le réacteur permet et impose. À Tokyo les rames de métro sont plongées dans l'obscurité pour une station ou deux, sans aucun doute à cause d'une pénurie d'électricité. L'écran d'information près de la porte à gauche nous apprend qu'une ligne se trouve à l'arrêt en raison d'une « panne », tandis que deux trains rapides ont été annulés à cause d'un « tremblement de terre ». Le jeune salarié blafard de l'autre côté de la travée baissait les yeux, par-dessus son masque de protection blanc, sur son portable étincelant; l'homme et la femme jaunes stylisés brillaient côte à côte dans leur carré noir pour nous indiquer que les toilettes étaient occupées; et nous avancions en volant par-dessus maisons et jardins. Du point de vue du Bouddha, il n'importe guère que tout notre bien-être dans l'existence dérive de pastilles d'uranium, de cellules solaires, ou du mouvement perpétuel; dans chaque cas, notre suffisance, à elle seule, empêche les toits et les arbres si jolis de l'instant présent de devenir les décombres dans lesquels l'instant d'après pourrait bien les jeter. Mais combien d'entre nous (moines exceptés) peuvent vivre et espérer - en d'autres termes, poursuivre nos intérêts présents - sans méconnaître nos inévitables fins? Je dis que nous sommes « mieux » en feignant de croire que le train rapide qui nous emmène ne déraillera pas. Le péril est lointain; nous mourrons probablement de quelque chose d'autre. Quand il est plus proche, l'intérêt présent conseille de ne pas le négliger. Et plus présent est l'intérêt, moins présent ou apparemment présent le danger, plus l'indifférence est irrésistible.
Et puis ceci, en écho singulier à mes propres souvenirs d’une
journée passée à Hiroshima, au printemps 2010, en pleine floraison des cerisiers :
À Hiroshima, mon dosimètre enregistra 0,2 millirem en vingt-quatre heures - deux fois la radioactivité naturelle de Tokyo. Au début, je pensai avoir découvert un artefact de la bombe, mais un dosimétriste américain me fit remarquer plus tard qu'un tel résultat tombait sans doute dans la norme pré-atomique pour la région. Sur un banc, de l'autre côté des ruines du bâtiment sur lequel tomba la bombe avec son dôme atomique, une fillette avec des nattes était assise sur les genoux de sa jeune mère, gloussant et frottant son nez contre le sien, le ciel bleu jetant sa lumière aveuglante à travers les trous des fenêtres vides dans la brique. Puis les pétales commencèrent à pleuvoir, se perdant dans la blancheur des dalles de granit, flottant sur les longs cheveux noirs de deux jeunes femmes assises à boire un café, qui chacune tournèrent le visage vers l'autre.