Certains jours le ciel vous semble, Dieu sait pourquoi, infiniment
menaçant. Il faut temporiser. Accompagner Charles-Antoine jusqu’à la porte de l’hôpital.
Le rassurer. Les orages ne durent jamais longtemps, n’est ce pas ? Et
puis, de retour là haut, sous les toits, juste avant que la pluie ne balaye la
chaleur de l’été, vous lisez ceci, de Lawrence Durell, dans (bien sûr) le Quatuor d’Alexandrie :
On avait creusé et canalisé la source, et l'eau arrivait maintenant dans une citerne de marbre qui formait le centre du patio pavé de grès rouge autour duquel s'ordonnaient la maison et les écuries. Avec l'eau naquit la verdure; l'ombre engendra les formes abstraites et hérissées des cactus et l'exubérance touffue des maïs. On réalisa même une planche de melons, qui étaient là comme des exilés de Perse, Une seule écurie dans le sévère style arabe tournait le dos aux vents du large, tandis que se développaient en « L » un ensemble de magasins et de petits salons aux fenêtres grillagées et aux volets de fer. Deux ou trois petites chambres, pas plus grandes que des cellules de moines, donnaient directement dans une belle salle centrale oblongue au plafond bas, qui était à la fois le salon et la salle à manger; au une cheminée massive, blanche, aux linteaux décorés de motifs et de céramiques arabes, et, à l'opposé, une table et des bancs de pierre rappelaient les réfectoires des anciens moines du désert. De riches tapis de Perse et des coffres merveilleusement ouvragés démentaient toutefois la sévérité de la pièce. Tout était de cette simplicité contrôlée où reconnaît le plus haut raffinement du goût. Sur les murs blanc et sévères, entre les fenêtres grillagées où apparaissaient quelques magnifiques vues de la plage et du désert, quelques antiques trophées de chasse ou de méditation comme: un pennon de lance arabe, un mandala bouddhique, des sagaies en exil, un arc pouvant encore faire son office pour chasser le lièvre, une cornette de yacht. Point de livres à part un vieux Coran à couverture d'ivoire et aux fermoirs de méta] terni mais plusieurs jeux de cartes sur les appuis des fenêtres ainsi qu'un grand tarot pour jouer les pythonisses, et un jeu des familles. Dans un coin, aussi, un vieux samovar pour s'adonner au penchant qui leur était commun à tous deux: le thé. Les travaux avancèrent lentement et avec bien des hésitations, mais lorsque, à la fin, incapable de garder plus longtemps son secret, il avait emmené Justine visiter la maison, celle-ci n'avait pu contenir ses larmes en courant d'une pièce à l'autre, s'arrêtant à chaque fenêtre pour contempler, ici l'image d'une mer d'émeraude roulant ses vagues sur le sable, là un paysage tourmenté de dunes qui, vers l'est, s'estompaient dans la brume du ciel. Puis elle s'était assise brusquement devant le feu d'épines, comme elle le faisait toujours, et elle avait écouté le doux battement de la mer sur le rivage, le piaffement des chevaux dans leurs nouvelles écuries de l'autre côté de la cour. C'était alors la fin de l'automne, et, dans l'ombre moite qui tombait, des lucioles avaient commencé leur danse, et ils s'étaient réjouis de voir que leur oasis abritait déjà d'autres vies que la leur. Ce que Nessim avait commencé, c'était maintenant à Justine de l'achever. La petite terrasse sous les palmiers fut prolongée vers l'est et entourée de murs pour l'abriter des tempêtes de sable qui, malgré cela, la recouvraient en hiver d'une couche atteignant parfois vingt centimètres d'épaisseur. Une bordure de genévriers fournit une première couche d'humus qui nourrirait plus tard les premiers buissons, qui s'étendraient à leur tour et permettraient ensuite à de plus grands arbres de subsister. Pour remercier son mari de tant d'attentions, elle fit aménager dans l'angle des bâtiments un petit observatoire renfermant un télescope grossissant trente fois où Nessim pourrait se livrer à son passe-temps favori, l'astronomie. Nessim passait là des nuits entières en hiver, vêtu de sa vieille abba couleur de rouille, à contempler gravement Bételgeuse ou à compulser des tables de calcul tel un astrologue du Moyen Âge. Leurs amis venaient aussi y regarder la lune, ou même, en abaissant la lunette, les nuages de perles que la ville, de loin, semblait toujours exhaler.