Le hasard est vraiment effrayant, au fond


Plusieurs romans, et non des moindres, m’étaient déjà tombés des mains [pourtant soigneusement choisis parmi ceux que j’avais laborieusement glanés ces dernières semaines]. Chaque jour un peu plus, je désespérais de ma sélection et envisageais, non sans agacement, comme on l’imagine, de devoir planifier, sous peu, une expédition [la plus brève possible], vers la ville la plus proche dans l’espoir d’y dénicher la devanture d’une librairie, excluant tout de même a priori de pénétrer un lieu n’offrant d’autres perspectives que celles d’acquérir la dernière sélection de France-Loisirs. C’est dire que j’étais à cran… Et puis, tout à fait par hasard, croyez-le ou non, je me suis mis à la lecture de « Kafka sur le rivage », le dernier roman d’Haruki Murakami (traduction de Corinne Atlan). Derrière mon dos, le vent balançait les feuilles du bouleau. Les martinets ne cessaient de tourner autour de la maison, s’enracinant dans l’azur en des cercles concentriques murmurant d’étranges alphabets. Plus loin, à la lisière de la forêt, les sapins et les hêtres bruissaient d’invisibles discours qui se répondaient de branche en branche. Tout cela [cette brusque proximité avec la nature, le soupçon d’un sens profond qui m’échappait] était à la fois très beau et très inquiétant. J’ai senti la caresse de l’été. Le sentiment de parvenir au point le plus ultime de l’année. Surtout, je me suis dis que le roman que je lisais, n’était, décidément, pas un roman comme les autres. Depuis lors, je ne me pardonne plus d’avoir si longtemps ignoré les textes d’Haruki Murakami… « Ils décidèrent d'en rester là et prirent le chemin du retour, via la nationale. Hoshino, distrait, se trompa de direction et oublia de tourner à gauche. Il essaya de retrouver la nationale, mais les rues faisaient des angles bizarres et le quartier était plein de sens uniques. En peu de temps, ils furent complètement perdus. Ils se retrouvèrent dans un quartier résidentiel qu'ils n'avaient pas encore traversé. Des rangées de belles maisons anciennes, cernées de hauts murs, les entouraient. Un étrange silence régnait dans cette rue, où l'on ne voyait pas âme qui vive. – Je pense qu'on ne doit pas être trop loin de l’appartement, mais je ne sais vraiment plus où on est ! reconnut le jeune homme. Il se gara près d'un terrain vague, coupa le moteur, tira le frein à main et déplia à nouveau sa carte. Il vérifia le numéro et le nom du quartier, indiqués sur une plaque apposée à un poteau électrique et chercha cet endroit sur son plan. S'il avait du mal à trouver, c'était sans doute à cause de la fatigue oculaire qui commençait à se faire sentir. - Monsieur Hoshino, dit Nakata. - Ouais ? - Désolé de vous déranger dans votre travail, mais qu'y a-t-il écrit sur cette pancarte là-bas, près du portail ? Hoshino leva les yeux, regarda dans la direction que Nakata pointait du doigt Au bout d'un long mur assez élevé, on apercevait un portail à l'ancienne mode, avec une grande enseigne de bois plantée à côté. - « Bibliothèque commémorative Komura », lut le jeune homme. Tiens, une bibliothèque dans un quartier désert ? D'ailleurs, on ne dirait même pas une bibliothèque, ça ressemble plutôt à une ancienne résidence.- Bibliothèque commémorative Komura ? - Oui. Elle doit être dédiée à la mémoire d'un certain Komura. Mais je n'ai pas la moindre idée de qui était ce type. - Monsieur Hoshino. - Ouais ? fit Hoshino qui consultait à nouveau son plan. - C'est là. - C'est là, quoi? - Ce que Nakata cherchait, c'est cet endroit. Hoshino regarda Nakata dans les yeux. Puis il examina le portail de la bibliothèque en fronçant les sourcils et relut attentivement l'enseigne. Il prit son paquet de Marlboro, le secoua pour en dégager une cigarette, la glissa entre ses lèvres et ralluma avec son briquet en plastique. Il aspira lentement la fumée et en rejeta une longue bouffée par la vitre ouverte. - Tu es sûr ? - Oui. Sans erreur possible. - C'est vraiment effrayant le hasard. - Tout à fait ! Vous avez absolument raison, approuva Nakata. »